Le temps est relatif. C'est Albert qui l'a dit.

Ma femme est prof. Prof de bio, au secondaire. C'est la fin de l'année et c'est le temps le plus tout.

Le plus long, celui où l'on manque le plus de temps, le plus exigeant, le plus fatiguant, le plus motivant et, pour les conjoints de profs, le plus-plus tout ça et plus encore.

Ben ouais, entre les spm et la fin de l'année, vivement nos 10 jours à Cayo Largo, Cuba. Une plage de rêve, rhum à volonté, soleil... ou ouragan, on sait pas, ce sera la surprise.

Mais ce n'est pas le sujet (ni la fève. Au lard, sinon c'est fade), je reparlerai de notre voyage en temps voulu et je ferai comme le docteur K, je mettrai des photos pour vous faire marronner comme des malades. Sauf que mes photos seront bien cadrées, haha... hum...

Le sujet du jour, c'est la fin de l'année scolaire et comme toute fin, elle se prête au bilan. Je le dépose ce matin, le bilan.

Ce fut une bonne année : ma lionne va avoir sa permanence ! Ça veut dire qu'elle aura son poste à elle, rien qu'à elle, que personne pourra lui prendre et que personne pourra la foutre dehors. C'est bien d'avoir sa permanence, et c'est encore mieux de l'avoir dans son domaine, hein, parce que des profs de maths qui deviennent permanents en histoire ou bien des profs d'éducation physique qui deviennent profs d'anglais, c'est pas rare, loin de là.

Mais pas ma lionne : elle va être permanente en bio. Enfin, c'est pas bio, c'est plus bio, c'est sciences et technologies, réforme oblige.

Non, j'embarquerai pas dans une critique de la réforme... je ne suis pas un partisan du "c'était mieux avant" mais cette réforme, faut le dire, elle est pourrie et on lui sacrifie des générations de jeunes. Ces crétins en devenir (mais bougrement transversaux finalement) je les appelle d'ailleurs les générations sacrifiées... et ça ne me fait pas rire parce que c'est eux qui seront les profs de NOS enfants (à Lionne et moi) et c'est eux qui vont devoir compétitionner contre des chinois, des allemands, des français et tous les autres du monde, pour innover, être économiquement forts, payer nos retraites etc.

Vous l'aurez compris, et je l'ai déjà dit, ma retraite, j'ai fait une croix dessus. Toi, le québécois qui me lis, ne souris pas, sinon c'est que tu n'as rien compris, innocent.

Bref, au bilan de cette année, je mets :

1/ alors que ma tigresse va avoir sa permanence, son amie miss Blond aura le plaisir de ne pas revenir l'an prochain. Miss Blond, prof d'histoire très appréciée de ses élèves, ça fait 4 ans qu'elle bosse dans cette école. Elle remplace une prof qui, tous les 2 mois, va voir un psy-truc pour se faire prolonger son arrêt maladie.

Motif : dépression.
Salaire : 100%.

Elle est pas belle la vie ? ses 4 dernières années avant la retraite, elle les aura passées en dépression... en voyage à droite à gauche, putain, c'est chiant, faut toujours rentrer à Montréal pour rencontrer le psy, on pourrait pas faire un papier pour toute l'année non ?

Mais voilà, outre l'incongruité de cette situation, le poste qu'occupe si bien miss Blond depuis 4 ans doit aller à l'affichage. Cela signifie que d'autres profs, plus en avant que miss Blond sur la liste de priorité, vont certainement le prendre car il va mener à la permanence...

Miss Blond est là depuis 4 ans, connaît l'école, les profs, la direction, les étudiants, s'implique et se donne à fond (l'arrogance ou l'ignorance de la jeunesse, je ne saurai dire...) mais non, elle va se faire bumper par un autre : c'est pas la direction de l'école (qui l'aime beaucoup et voudrai bien la garder : ils savent ce qu'ils ont et ne savent pas ce qu'ils auront) qui l'emploi, c'est la Commission scolaire de Montréal (CSDM).

De sombres incompétents qui sortent jamais la tête de leurs cubicules et qui ne connaissent que la théorie de l'enseignement. Mais le système est ainsi fait que c'est cette gang d'ahuris qui décide... miss Blond is out, the end.

2/ miss Blond, depuis 4 ans, elle organise un voyage à Québec; faut dire que l'école où elle et ma lionne enseignent est très multiethnique : 80 ethnies pour 1000 élèves. Tous des enfants d'immigrants récents ou très récents, la plupart ne sortent jamais de Montréal ni même de leur quartier : le voyage vers la capitale provinciale est donc une occasion magnifique et unique pour eux.

Miss Blond organise tout : collecte de fonds (et avec la secrétaire qui pique dans la caisse, c'est pas facile), réservations, convaincre des parents parfois rétissants... toute une affaire ! ma lionne l'aide toujours, mais c'est d'valeur, si beaucoup de profs veulent bien aller à Québec pour "accompagner et encadrer", quand vient le temps de venir un samedi après-midi pour superviser une journée d'emballage à l'épicerie du coin ou de venir un vendredi soir pour collecter des bouteilles et des cannettes pour en récupérer la consigne, ben y-a plus personne. Ils ont des empêchements : tu comprends, j'ai pris des engagements ailleurs, désolé, une autre fois ? Curieux non ?

C'est curieux aussi d'en voir certain aller au lit à 21h alors que le couvre-feu est à 23 h et qu'il faut surveiller, en général, jusqu'à 1 ou 2h du mat'... Ben ouais, les flows, c'est genre comme "LEURS" 2 jours... ça veut fumer, ça veut boire, ça veut changer de chambre, bref, c'est ado et ça vie (saloperies de jeunes !), il faut les tenir en laisse sinon c'est n'importe quoi.

Ben ceux qui vont se coucher, c'est les mêmes qui ont pas participé, pendant l'année, à ramasser le cash qui sert à payer leur chambre d'hôtel indépendante, parce que je veux bien accompagner, mais je veux une chambre tout seul, hein, j'ai des droits, criss. C'est d'ailleurs les mêmes qui chialent à longueur de temps que c'est long, que ils ont pas d'allure les gamins, franchement, Québec, tsé, pis en plus j'ai mal aux pieds...

Théorie : moins t'en fait, plus t'es fatigué.

Autre théorie : c'est toujours les mêmes qui font.

3/ la preuve : le comité social. En début d'année, fallait élire les profs en charge du CS. Lionne et miss Blond s'en occupaient depuis 2 ans mais tannées de rien voir bouger à cause des vieilles croûtes qui partent jamais à la retraite, elles se sont pas représentées.

Vous le croirez ou pas, mais une prof se lève et, alors que tout le monde imagine qu'elle va se proposer, dit : "moi je propose la Lionne et miss Blond", bien sûr, sans leur demander leur avis.

Tous approuvent, sauf les intéressées, et fallait voir les réactions indignées ou choquées quand miss Blond leur a fait comprendre, plus ou moins poliment, que non, finalement, elles voulaient plus...

4/ assurance santé :c'est cher. Pardon, c'est horriblement cher. Et ça couvre rien, ou pas grand chose. Si tu veux être un peu mieux couvert, faut prendre le plan 2, encore plus cher, et pour être à peu près correctement couvert, faut payer les yeux de la tête pour le plan 3. T'as pas les sous ? dommage...

5/ dommage ouais ! car en ce moment, on procède à la réfection du réfectoire : une vieille salle pouvant accueillir 4-500 élèves alors que l'école en compte environ 1000, c'est sûr, fallait le faire. D'ailleurs, la CSDM est tellement au courant de ses affaires que sur son site, l'école est "valorisante, enrichissante et compte 850 élèves"... c'est l'fun... c'est les mêmes qui ont paralysé les écoles montréalaises pendant 3 jours pour déneiger cet hiver, parce que c'est sûr, le déneigement au Québec, c'est pas courant, alors vous comprenez...

On détruit donc le réfectoire pour l'agrandir, mais on n'a pas enlevé l'amiante par exemple. Et là, tous les non-canadiens sont choqués. A juste titre, car tout le monde sait que l'amiante c'est dangereux. Mais il faut comprendre que le Canada, et le Québec en particulier, est le plus gros producteur d'amiante au monde, alors ici, l'amiante, c'est pas dangereux. C'est la CSDM qui l'a dit...

6/ je conclurai avec un bref aperçu des insignifiants "collègues" de Lionne et miss Blond. À tout seigneur tout honneur, nous commencerons par mister Pink, qui aime les hommes, le fait savoir et se croit persécuté et atteint dans sa dignité dès que quelque chose ne lui convient pas. Il pose d'ailleurs de nombreux griefs contre une direction homophobe... il est pote avec les gars du syndicat. Il siffle fort dans les couloirs pour faire savoir qu'Il est là, dit à ses étudiants musulmans qu'ils sont homosexuels et qu'ils ont le sida (mais c'est pour un travail...); il a des connexions au Bloc Québécois et à Radio-Canada et connaît personnellement G.Duceppe. Mister Pink est un être supérieur : il enseigne l'économie aux cinquièmes secondaires.

Mister DJ, lui, vole les lunchs de ses collègues et nie par la suite. Les évaluations de mister DJ, toutes, y-compris les examens de fin d'année, sont des mots-croisés. Pour les labos, mister DJ donne les réponses à ses étudiants avant d'aller en labo, car il faut bien montrer à la technicienne (oui, la. Y-en-a juste une pour 1000 élèves) et aux collègues que ses étudiants sont pas des burnes qui apprennent rien. Il traîne les pieds, il pue de la gueule, à un regard de pigeon (à la François Pignon), laisse traîner des vieux fruits gâtés et mousseux sur de vieilles copies au fond de vieux tiroirs et en plus, c'est le bordel dans ses classes. Mister DJ n'a aucune autorité et enseigne la bio depuis 3 ans, mais il est normalement prof de maths; il a tellement de connaissances que quand une stagiaire le reprend en cours car il donne pas la bonne définition d'ADN, il se fâche et trouve le moyen d'avoir raison.

Les Hommes, les vrais : maghrébins, la femme elle doit rester à la maison c'est moi l'homme, c'est moi qui travaille. Lionne est, avec une vieille, aigrie, usée, désabusée mais néanmoins amicale et efficace collègue, la seule femme parmi les profs de science... et eux, ils savent bien bien qu'un homme ça sait mieux, ça sait plus qu'une femme. Alors ils le font comprendre. Les Hommes ne travaillent jamais, squattent les ordinateurs pour aller sur des sites en arabe que ça a pas rapport avec leur matière (même si tu lis pas l'arabe, rien qu'a voir les photos tu comprends tout), ou alors sur Google Earth pour voir le pays. Été comme hiver, ils portent leurs grosses vestes qui puent sueur et cigarette, mais c'est des Hommes et ils sont supérieurs.

Mister Star lui, il est prof de maths. Il a fait son brevet de secourisme, c'est pour ça que quand un élève en a étranglé un autre en plein cours (c'est un truc répandu dans notre jeunesse, si brillante et pleine d'avenir : arrêt de l'oxygénation du cerveau = gros buzz, c'est moins cher que de la dope et plus interactif. Notez, c'est ça qu'on appelle une compétence transversale : l'habileté à appliquer des concepts abstraits) et que celui-ci s'est écroulé inanimé, il a continué de ne pas enseigner à des élèves qui de toute façon ne l'écoutent pas. C'est une élève qui est sortie affolée pour aller chercher le vice-directeur pour qu'il appelle une ambulance, parce qu'un camarade de classe étendu à terre et qui respire plus, c'est pas top. Mais Mister Star a fait son secourisme et la situation était sous contrôle. Une chance.

Mister Youtube, c'est une autre vedette, en concurrence avec Mister Star. Mister Youtube n'a pas plus d'autorité que Mister Star, mais il est plus "coooool"... quand un de ses étudiants se lève en plein cours (enfin, disons la période de temps où il est censé y avoir un cours), ouvre la fenêtre et se pend par les mains au rebord extérieur pendant 3 minutes entières, Mister Youtube souri à l'autre étudiant qui filme la scène avec son portable. Mister Youtube a oublié que les portables sont interdits dans l'école et il n'a pas conscience que cela peut, éventuellement, être dangereux de se pendre à la fenêtre du 3e étage. Mister Youtube est prof d'histoire et n'a pas jugé nécessaire de prévenir la direction de cette histoire parce que de toute façon, c'est pas lui, c'est photoshopé.

Enfin, parce que je peux pas décrire tous les bras cassés qui œuvrent dans cette école, mister Drunk, le technicien en informatique. Mister Drunk est âgé mais ne prendra jamais sa retraite et a commencé sa carrière en tant que technicien de surfaces. Un jour, y-a longtemps, la modernité a frappé : le PC est entré dans l'école... et c'est lui qui a aidé le livreur à faire entrer le matos. La direction d'antan, qui savait pas c'est quoi ça un mosus d'ordinatruc, a dit à mister Drunk qu'il était maintenant un col blanc : technicien en informatique. Ça fait 20 ans et tous les ordis que Drunk touche finissent par planter. Quand il faut changer une cartouche dans une imprimante, ou enlever le bourrage papier, mister Drunk change toute l'imprimante, c'est pas grave, c'est l'école qui paye. mister Drunk a tellement de responsabilités qu'il passe son temps entre le secrétariat et le local des techniciens de surfaces, oscillant entre mauvais café et gros rouge qui tache. De toute façon, il est très occupé, n'a jamais le temps, alors autant le noyer... le temps.

Voilà qui conclut MON bilan de cette année. C'est MA vision du milieu de travail de ma lionne et même que JE suis d'accord avec.